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LA FAUTE INEXCUSABLE DU TRANSPORTEUR ROUTIER : NOUVEAU RAPPEL DES CRITÈRES RESTRICTIFS

MARS 2020, N° DE POURVOI: 18-14261

” Réponse de la Cour :

Ayant constaté que la remorque avait été dérobée par un tracteur s’y étant attelé, après avoir pénétré, dans la nuit du 26 au 27 avril 2013, dans le site dans lequel elle était stationnée, l’arrêt retient que ce site était entièrement grillagé, qu’il était surveillé par seize caméras, dont une, à 360 degrés, installée sur le toit du bâtiment, que son accès était fermé à l’aide d’une barrière métallique et de deux barrières de levage. Il ajoute que, pendant le week-end, un gardien était en faction à l’entrée du site et des rondes étaient effectuées et que, du samedi à 18 heures au dimanche à 22 heures, le site était fermé. Il relève encore que le lieu de stationnement de la remorque était éclairé et surveillé par deux caméras, dont il n’est pas établi que la société Vital connaissait le caractère défectueux de l’une d’elles, et que, pour y accéder, il fallait emprunter un passage également surveillé à l’aide d’une caméra.

Par ces constatations, dont elle a déduit que la société Vital n’avait pas, en s’abstenant d’apposer du plomb ou un cadenas sur le système d’ouverture des portes ainsi qu’un système anti-accroche du pivot d’attelage, commis de faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire, sans raison valable, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions dont elle était saisie, a légalement justifié sa décision. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n’est qu’éventuel, la Cour : REJETTE le pourvoi (… )

Pour « déplafonner » la responsabilité du transporteur, l’article L. 133-8 du code de commerce exige que l’ayant droit à la marchandise démontre la réunion de 4 conditions cumulatives suivantes :

1. Faute délibérée et volontaire.

2. Conscience de la probabilité du dommage.

3. Acceptation téméraire du risque.

4. Absence de raison valable de l’acceptation d’un tel risque.

Autrement dit, la faute du transporteur (ou du commissionnaire de transport) doit se déduire d’une attitude psychologique particulièrement téméraire : « ça passe ou ça casse ». Il y a un risque, le transporteur le prend en toute connaissance de cause et de manière délibérée et consciente.

Le 11 mars 2020, la Cour de cassation s’est de nouveau penchée sur la problématique épineuse de la faute inexcusable en la rejetant dans un contentieux allez classique en matière de responsabilité du transporteur routier : vol pendant un stationnement nocturne sur un parking.

La société Bourgey Montreuil Normandie a été mandatée par la société Nestlé France d’organiser le transport d’une cargaison de produits de la marque Ricoré. Elle a sous-traité les opérations matérielles de transport à la société Vital Froid. Après avoir enlevé la marchandise, le vendredi 26 avril 2013, pour une livraison prévue pour lundi, 29 avril 2013, le chauffeur de cette dernière a déposé la remorque, dételée, sur le site d’une société sur lequel la société Vital occupait des locaux. Dans la nuit du 26 au 27 avril 2013, ce véhicule et la marchandise qu’il contenait ont été dérobés. La société Nestlé a été indemnisée par son assureur Zurich Insurance.

Pour tenter de démontrer la faute inexcusable et « faire tomber » les limitations légales du transporteur routier, les ayants droit à la marchandise sinistrée ont notamment avancé les arguments suivants devant les juges du fond :

– La connaissance qu’avait le transporteur de la nature facilement “écoulable” du fret ;

– Le fait que la semi-remorque n’était ni cadenassée, ni plombée par le transporteur;

– La circonstance que le lieu de stationnement n’était pas, selon eux, suffisamment sécurisé et protégé.

Les juges du fond ont notamment retenu que la seule absence de système anti-accroche du pivot d’attelage était, compte tenu de la nature de la marchandise et de la sécurisation du lieu de stationnement de la remorque, insuffisant à établir une prise de risque délibéré et que la témérité du transporteur ne se déduisait pas du seul fait d’avoir omis de cadenasser la semi-remorque, d’autant plus que l’absence de cadenas n’était pas en lien de causalité avec le vol.

La Cour de cassation approuvent les juges du fond et rejette la faute inexcusable.

La solution retenue par la Cour de cassation doit être, selon nous, approuvée … même si la solution aurait pu être différente, si le vol avait été directement provoqué par l’omission du transporteur de cadenasser la semi.

Il n’en demeure par moins que la faute inexcusable est un concept juridique très restrictif qui contrebalance, – par le biais des limitations légales d’indemnités, – l’obligation de résultat et la présomption de responsabilité du transporteur que le législateur lui impose avec très peu de cas d’exonération possible (faute de l’expéditeur et force majeure).

Les critères très rigoureux de la faute inexcusable permettent ainsi aux professionnels de transport d’exercer leur activité sereinement en payant des primes d’assurance qu’ils sont en mesure d’assumer financièrement car leur montant (il faut le rappeler) se calcule par les assureurs transport en considération de l’exposition financière de l’assuré au risque d’être condamné à verser à l’ayant droit une indemnisation plafonnée aux limitations légales d’indemnités issues des contrats-types français ou aux limitations de la Convention CMR.

L’équilibre économique du système se trouve ainsi respecté et préservé par la Cour de cassation exerçant un contrôle strict de la motivation des juges du fond.