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LA FAUTE INEXCUSABLE DU TRANSPORTEUR ROUTIER : TOUJOURS DIFFICILE A ÉTABLIR !

Com., 25 septembre, 2019 pourvoi : 18-12265

Le dysfonctionnement du système frigorifique du camion prétendument inadapté à la nature de la cargaison ne permet pas de retenir la faute inexcusable du transporteur à défaut pour l’ayant droit à la marchandise d’établir la preuve d’une faute délibérée et de l’attitude téméraire du voiturier.

Pour « déplafonner » la responsabilité du transporteur, l’article L.133-8 du code de commerce exige que l’ayant droit à la marchandise démontre pour retenir la faute inexcusable faisant échec à la limitation de responsabilité, la réunion de 4 conditions suivantes :

1. Faute délibérée et volontaire.
2. Conscience de la probabilité du dommage.
3. Acceptation téméraire du risque.
4. Absence de raison valable de l’acceptation d’un tel risque.

Un arrêt relativement récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 novembre 2018 a parfaitement illustré le contenu de la faute faute inexcusable du transporteur routier (Cass. com., 21 nov. 2018, n°17-17468)
En l’espèce, un commissionnaire de transport se voit confier par son client l’organisation du transport d’une cargaison de téléviseurs. Lors d’un stationnement de nuit une partie importante du chargement a été dérobée. Après avoir indemnisé son client, le commissionnaire et son assureur ont fait appel en garantie contre le transporteur substitué. La cour d’appel leur donne raison.

Pour les juges du fond, le choix du stationnement, avec un chargement particulièrement sensible et facilement « écoulable », dont le transporteur ne pouvait ignorer la valeur, en contradiction manifeste avec les instructions reçues, constitue une faute délibérée confinant au dol. Le transporteur a totalement passé outre la volonté de son client dans la réalisation de l’opération de transport.

« Mais attendu que l’arrêt relève que le fait d’avoir stationné pour la nuit une remorque chargée de marchandises sensibles, sans aucun dispositif de fermeture, sur un terrain non surveillé, constitue une faute du transporteur, garant des pertes, au sens de l’article L. 133-1 du code de commerce ; qu’il retient que ce stationnement, de nuit, sur un site isolé en pleine campagne, même régulièrement occupé par les véhicules d’une entreprise de transport, donnant directement sur la voie publique, sans aucune surveillance effective, d’un chargement composé de nombreux colis, donc facilement enlevables, dans une remorque non cadenassée, tandis que le transporteur ne pouvait ignorer la valeur du chargement, et ce, en contradiction flagrante avec les instructions reçues, constitue une faute délibérée et dépasse le seuil de la simple négligence (…) ».

En schématisant le raisonnement des juges suprêmes, il est possible d’en dégager la formule suivante :
marchandise sensible + stationnement nocturne + parking non protégé sans surveillance effective + remorque non cadenassée = attitude téméraire = faute inexcusable.
Quelques mois après cet arrêt, la Cour de cassation a rejeté la faute inexcusable dans un arrêt du 13 février 2019 (n° de pourvoi : 17-28550).

Pour caractériser la faute inexcusable, les juges du fond ont retenu les éléments suivants :

La livraison tardive de la marchandise chez le destinataire (non respect des horaires convenus) ;
L’entreposage subséquent de la marchandise dans un endroit sans une surveillance directe et efficace ;
La nature particulièrement sensible du fret (marchandise facilement commercialisable).

La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel faute pour les juges du fond d’avoir établi la témérité du transporteur.
“…Qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser la faute inexcusable du transporteur, laquelle est une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable, et non une simple faute d’imprudence ou de négligence, ni même une négligence grave, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule (…)”

La témérité ne se déduit donc pas des seules défaillances matérielles du voiturier : l’élément psychologique (conscience de la probabilité du dommage et son acceptation sans raison valable) faisait défaut.

Autrement dit, une simple faute d’imprudence ou de négligence (comme c’était le cas dans le litige ayant donné lieu à l’arrêt du 13 février 2019) ne se qualifie pas automatiquement en une faute inexcusable.

Le 25 septembre 2019, la Cour de cassation s’est de nouveau penchée sur la problématique épineuse de la faute inexcusable en la rejetant dans un contentieux où le pourvoi arguait, en vain, qu’une telle faute se déduisait de l’utilisation d’un véhicule ayant fait l’objet de plusieurs interventions, donc inadéquat, selon les ayants droit à la marchandise, pour transporter une cargaison sensible et de grande valeur.
Malgré la conclusion de l’expert imputant le sinistre au dysfonctionnement du groupe frigorifique, le pourvoi a failli dans la démonstration des conditions de la faute inexcusable qui exigent la preuve de l’attitude téméraire du transporteur. Or, dans cette affaire, la Cour de cassation a relevé que le chauffeur a lui-même constaté l’anomalie de la température durant le trajet et a plusieurs fois contacté son employeur pour trouver une solution, de sorte que ni la faute délibéré et volontaire, ni l’attitude téméraire n’étaient caractérisées.

« (…) Mais attendu, en premier lieu, que l’article L. 133-8 du code de commerce définit la faute inexcusable comme une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; que l’arrêt retient que le véhicule de transport était constitué de trois compartiments dont les températures étaient préréglées, sans qu’il fût démontré que le chauffeur avait pris l’initiative ou pu modifier ces températures, ni que cette demande lui avait été prescrite lors de la procédure d’urgence ; qu’il ajoute qu’après avoir relevé l’anomalie des températures dans le compartiment frigorifique, réglé à 5 degrés, renfermant les marchandises, le chauffeur avait arrêté une première fois le véhicule et appelé en urgence son employeur qui lui avait indiqué de redémarrer le groupe de réfrigération, puis qu’ayant relevé une nouvelle chute des températures en dessous de zéro degré, le chauffeur avait, de nouveau, consulté en urgence son employeur, qui lui avait prescrit de stopper le groupe de réfrigération, ce qu’il avait déclaré aussi avoir fait ; que l’arrêt relève encore que le véhicule avait été mis en circulation la première fois le 24 septembre 2010, moins de deux ans avant la survenance du sinistre, qu’il avait fait l’objet d’une attestation de conformité sanitaire et que les interventions sur le dispositif frigorifique attestaient de la précaution que le transporteur avait prise pour respecter la destination de son véhicule ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que le transporteur n’avait pas commis de faute inexcusable … ». (Com., 25 septembre, 2019 pourvoi : 18-12265).

La solution retenue par la Cour de cassation doit être, selon nous, approuvée sans réserves.

La faute inexcusable est un concept juridique très restrictif qui contrebalance, – par le biais des limitations légales d’indemnités, – l’obligation de résultat et la présomption de responsabilité du transporteur que le législateur lui impose avec très peu de cas d’exonération possible (faute de l’expéditeur et force majeure).

Les critères très rigoureux de la faute inexcusable permettent ainsi aux professionnels de transport d’exercer leur activité sereinement en payant des primes d’assurance qu’ils sont en mesure d’assumer financièrement car leur montant (il faut le rappeler) se calcule par les assureurs transport en considération de l’exposition financière de l’assuré au risque d’être condamné à verser à l’ayant droit une indemnisation plafonnée aux limitations légales d’indemnités issues des contrats-types français ou aux limitations de la Convention CMR.

L’équilibre économique du système se trouve ainsi respecté et préservé par la Cour de cassation exerçant un contrôle strict de la motivation des juges du fond.