Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, no 18-15759
Une forte pluie a rendu le tarmac très glissant. L’accident se provoqué par la glissade de l’avion qui heurte un tracteur à l’arrêt. Le transporteur propriétaire de l’aéronef et son assureur ont actionné, devant le tribunal de grande instance de Limoges, la CCI de Limoges, en sa qualité d’exploitant de l’aérodrome, ainsi que l’assureur auto de cette dernière, et ce, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. Par jugement du 23 juin 2016, le tribunal de grande instance de Limoges avait débouté les demandeurs après avoir retenu que la loi Badinter n’était pas applicable à l’accident.
La cour d’appel de Limoges avait ensuite réformé ce jugement, aux motifs que :
• « la circonstance que la collision se soit produite sur le tarmac d’un aérodrome n’est pas de nature à exclure l’application de la loi du 5 juillet 1985 »,
• « le tracteur de piste constitue un véhicule ayant pour fonction exclusive le déplacement » et « constitue donc un véhicule terrestre à moteur »
• « le tracteur de piste (…) qui a participé à la collision du fait de sa seule présence sur la trajectoire de l’ATR 42 qui est venu le percuter, se trouve nécessairement impliqué dans l’accident ».
La Cour d’appel de Limoges a jugé que la responsabilité de plein droit de l’exploitant de l’aéronef en application de l’article L. 6131-2 du Code des transports « ne prive pas cet exploitant de la possibilité d’engager une action en responsabilité pour dommages causés à son aéronef sur le fondement du droit commun, y compris sur le fondement juridique de la loi du 5 juillet 1985 ».
La Cour de cassation tranche en faveur de l’application de la Loi Badinter du 5/07/1985 : la collision entre l’avion et le tracteur de piste, dont l’unique fonction est le déplacement, constitue bien, selon la haute juridiction, un accident de circulation :
« Mais attendu qu’ayant constaté que seul avait été heurté par l’aéronef le tracteur de piste et que l’unique fonction de ce véhicule terrestre à moteur était d’assurer le déplacement sur la zone aéroportuaire de divers outils, tels que des groupes électrogènes, chariots à bagages, remorques et passerelles d’embarquement, qui lui sont attelés et dont il est dissociable, la cour d’appel en a exactement déduit que cette collision constituait un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société SMACL assurances aux dépens (…) ».
L’application de la loi Badinter aux sinistres aériens est une problématique épineuse du droit des assurances.
Pour rappel, l’article 1er de la loi du 15 juillet 1985 (Loi Badinter) énonce :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».
L’article L.211-1 du Code des assurances relatif aux assurances obligatoires dispose :
« Toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué, doit, pour faire circuler celui-ci, être couverte par une assurance garantissant cette responsabilité, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Pour l’application du présent article, on entend par “véhicule” tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ».
Aux termes de l’’article L.6131-2 du Code des transports :
« L’exploitant d’un aéronef est responsable de plein droit des dommages causés par les évolutions de l’aéronef ou les objets qui s’en détachent aux personnes et aux biens à la surface.
Il a été jugé par le passé qu’« Un véhicule terrestre à moteur est impliqué – au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 dans un accident de la circulation dés lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation” (Civ. II, 2 avril 1997 )
En outre, «Le régime de la 1985 s’applique en présence d’un véhicule en mouvement ou en stationnement » (Civ.II, 21 oct. 1987, no 86-15.205, Bull. civ. II).
Les juges européens estiment également que la notion de circulation doit être entendue de manière la plus large possible et qu’elle nécessite que le véhicule soit utilisé dans sa fonction habituelle qui est celle de déplacement et non de celle d’outil (CJUE, 4 sept. 2014, aff. C-162/13, Damijan Vnuk c/ Zavarovalnica Triglav d.d, ECLI:EU:C:2014:2146 et CJUE, 28 nov. 2017, aff. C-514/16, Rodrigues de Andrade).
Ne sont pas, en revanche, soumis au régime de la Loi Badinter les cas où le dommage est causé par un élément d’équipement étranger à la fonction de déplacement du véhicule(Cass. 2e civ., 23 oct. 2003, n° 02-13.989 : Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, n° 05-74.338) et/ou si le VTM est utilisé pour une fonction autre que le déplacement (Cass. 2e civ., 5 nov. 1998, no 95-18.064)
Par exemple, une « dameuse », engin à moteur dépourvu de roues (qui sert à lisser la neige pour certains sports d’hiver), ne constitue pas un VTM au sens de la loi Badinter. Il s’agit donc d’un outil et non d’un véhicule (Civ. II, 20 mars 1996).
Le raisonnement juridique est simple : le dommage ne résulte pas du risque créé par la circulation d’automobiles mais par une autre fonction étrangère au déplacement/transport, telle qu’une fonction d’outil, par exemple.
Ainsi, il a été jugé par la Cour de cassation qu’échappent au régime légal de la loi Badinter du 5 juillet 1985 les dommages causés par un élément d’équipement étranger à la fonction de déplacement du véhicule (Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, n° 05-74.338; Bull. civ., II,n° 275).
A l’appui de ce raisonnement, il a été établi par la jurisprudence que la Loi Badinter s’applique aux engins suivants impliqués dans leur fonction de déplacement :
• tondeuse autotractée ;
• cyclomoteurs,
• tracteurs agricoles,
• moissonneuses,
• giro-broyeurs,
• remorques,
• engins de chantier,
• engins des pistes, chariots élévateurs.
Pour que la loi du 5 juillet 1985 s’applique ces engins doivent être dotés des roues pour pouvoir transporter des personnes ou des marchandises/équipements. Par exemple, une tondeuse a deux fonctions (fonction d’outil qui sert à tondre le gazon et la fonction de déplacement/transport car son utilisateur doit se déplacer pour effectuer son travail). Pour que l’outil fonctionne, il faut que l’engin se déplace. Donc, il s’agit bien d’un véhicule terrestre à moteur comme l’est le chariot élévateur qui va transporter des palettes sur lesquelles des marchandises sont chargées (Civ. II, 25 mai 1994).
En l’espèce, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté du 18 avril 2019, le tracteur ayant heurté l’aéronef était bien dans sa fonction de déplacement : « seul avait été heurté par l’aéronef le tracteur de piste et que l’unique fonction de ce véhicule terrestre à moteur était d’assurer le déplacement sur la zone aéroportuaire de divers outils, tels que des groupes électrogènes, chariots à bagages, remorques et passerelles d’embarquement, qui lui sont attelés et dont il est dissociable ».
La Cour de cassation est donc restée fidèle à son raisonnement antérieur consistant à considérer que dès lors que le dommage est causé par un élément propre à assurer le déplacement (sur la zone aéroportuaire, en l’occurrence), la Loi Badinter a vocation à s’appliquer.
Que penser de cette solution ?
Selon notre opinion, cette solution jurisprudentielle pourrait faire obstacle à l’application des limites et exclusions conventionnelles d’indemnisation issues des contrats que les transporteurs aériens concluent dans le cadre de leur activité avec des agents de handling opérant dans les aéroports.
En effet, les transporteurs contractent avec des exploitants des zones aéroportuaires dans le cadre des « contrats de handling » dont l’objet est de mettre à la disposition du transporteur/propriétaire d’avion un emplacement de stationnement pour l’aéronef avec assistance au stationnement et au déplacement, ainsi que la fourniture de services d’accompagnement optionnels. Dans le cadre de tels contrats de handling, le Standard Ground Handling Agreement (SGHA) qui est un « contrat type » qui est largement utilisé par les opérateurs aériens pour régir les opérations des sociétés prestataires au sol. Le SGHA est publié dans le IATA Airport Handling Manual et traditionnellement utilisé comme base contractuelle par les acteurs aériens. Les plafonds de réparations et clauses limitatives de responsabilités stipulées dans le SGHA (le plafond de base de 500.000 USD), qui sont des standards du marché aérien utilisés par les opérateurs aériens du monde entier pourraient être déclarées inopposables (non écrites) par les tribunaux français.
De cette jurisprudence de la Cour de cassation découlent logiquement une obligation des assureurs auto à garantir… les sinistres aériens dont le coût financier est généralement très important alors que ces assureurs « terrestres » ne sont pas des assureurs « naturels » des risques aériens lesquels sont traditionnellement pris en charge par des assureurs spécialisés dans les « grands risques » au titres des polices adaptées et conçues pour ce risque…